Le Concours 2006 des Meilleurs Mots lUUs prend fin !
Enfin, diront certains ! C’est que les Meilleurs Mots lUUs de cette année ont remporté un franc succès populaire : 26 contributions, d’un niveau particulièrement élevé cette année. Comme un cadeau de Noël pour mon blog ;o).
Ah cette saison si particulière des fêtes de fin d’année…
Réjouissance pour les uns, moment de désoeuvrement total pour les autres.
Tiens parlant de désoeuvrement et de misère… Ne dit-on pas que la prostitution est le plus vieux métier du monde ?
Ce hasard qui n’en est pas un [j’arrête de vous faire un dessin] a fait choisir de manière totalement indépendante nos textes à douce Marie et moi.
Et c’est ce thème [grave] qui en est le fil rouge, étrangement.
Etrange fin de concours des Meilleurs Mots lUUs…
Etrange fin d’année.
Merci encore infiniment à toutes et à tous pour vos textes, vos commentaires, votre enthousiasme pour la chose écrite !
Publication des résultats officiels pour le prix du BloGoncourt lundi 18 décembre 2007.
Teasing: Discours de clôture par Breizhette [sauf indisgestion d’huîtres de Cancale entretemps ;o)] pour l’annonce du BloGoncourt 2006…
Entretemps, j’ai créé une boîte à émiles anonyme pour l’envoi de votre vote popUUlaire pour le Grand Prix du pUUblic 2006 [TOUT LE MONDE peut participer à ce vote par émile, à condition de n’y participer qu’une seule fois. Mais plusieurs choix de textes possibles !]:
Mentionnez uniquement dans le sujet de votre émile: le ou les numéros de vos Meilleurs Mots lUUs préférés et le nom de vos chouchous.
Par exemple: « Je roule pour #25 – Sweet Mary et #26 – UU » comme sujet de votre émile… ;o)
Et pour la facilité de relecture: vous pouvez relire tous les Meilleurs Mots lUUs 2006 d’un seul coup d’oeil là .
Date limite du vote popUUlaire: dimanche 17 décembre 2006, à minuit [environ].
Que les Meilleurs Mots lUUs gagnent !!!
Be cool, be open.
UU
ps: Notez la nouvelle rubrique à droite « Une idée de jUUry popUUlaire »…
Meilleurs mots lus #25
Sweet Mary – Extrait de « Val Paradis », d’Alain Jaubert
Je reviens sur le sable. Etourdi. Je m’allonge au soleil. Ce n’est plus le noir, le gris, le caniveau, la mort poussiéreuse, les ténèbres. Mais le clair, le soleil, le sable chaud, les forces retrouvées. La chaleur dans tout mon corps. Je me rendors. Rêves chaotiques. Je me réveille encore une fois. C’est un réveil comme je les connais à bord. Mon corps se retrouve. Aussi heureux, tiède et confiant que celui qu’il était dans son berceau dix-huit ans plus tôt. Seule différence peut-être, cette chose de chair chaude qui se dresse, dure, au bas de mon ventre chaque matin avant le réveil et qui persiste un long moment dans sa raideur obstinée, comme le rappel mystérieux et crispé de l’animalité sauvage tapie au plus profond. Retour à la vie ? Présage ? Innocence perdue ? Evidemment, Arthur me revient : « Le meilleur, c’est un sommeil bien ivre, sur la grève ». Une phrase à chaque circonstance de la vie. Nous ne faisons que rejouer des fragments d’anthologie…
(…)
Le sable est chaud maintenant. Je suis allongé. Comme je l’étais cette nuit mais c’est une autre façon d’être allongé. Pas mort ! Le sable qui gratte et qui coule entre les doigts, geste de plage de vacances répété avec bonheur comme mille fois jadis. Le soleil, sa chaleur sur les épaules, les bras. La peau lisse et propre qui cuit doucement. Je sens la vie regagner mon corps, chasser les démons noirs de la nuit, dissoudre la folie macabre de l’alcool. Je sens la chaleur dans les vertèbres lombaires, les fesses, les cuisses, le sexe raide. Montée lente du bien-être. Résurrection. Les dernières zones de résistance, omoplates, vertèbres cervicales, cerveau, se rendent l’une après l’autre. La journée s’annonce belle. Encore une fois, je me rendors content.
C’est une odeur qui me réveille. Une odeur forte de poisson. Ce n’est pas un rêve. Je suis sorti du sommeil et je perçois cette odeur de marée avariée plutôt désagréable. J’ouvre les yeux. Je sursaute. A quarante centimètres de moi, un gros œil intrigué me regarde. Entouré de peau plissée, effrayant. Je me dresse, je recule. C’est un pélican. Une bande de cinq pélicans est perchée à quelques mètres de mon corps inerte, sur le liston d’une barque de pêche. Celui là, intrépide, s’est aventuré jusqu’à moi. La tête penchée de côté, il m’observe avec curiosité. Il pue. Voyant que je bouge, il agite ses ailes pour m’impressionner, il redresse son cou, secoue la poche molle qui pend sous son bec, se détourne et repart en se dandinant, lourd et gauche, retrouver sa bande. Curieux animaux. Laids, mais touchants. Vivants comme des clochars paresseux dans la proximité des pêcheurs. Qui leur jettent les abats et les petites prises. Ont l’air égoïstes et voraces. On ne les imagine pas s’ouvrant le bide pour nourrir leurs petits comme dans le poème. Ils ont dû manger un instant auparavant : ils se nettoient pattes et plumes, se lissent les ailes avec une étrange délicatesse du bout pointu de leur minable bec, font claquer leurs mandibules de façon comique, somnolent, bâillent, se chamaillent, chient, couvrant de leur fiente grasse et blanchâtre la barque et le sable.
(…)
Je sors de l’eau. Le corps frais. Les cheveux collés, coulant, l’eau salée dans les yeux et la bouche. Souffler, envoyer les gouttes le plus loin possible devant soi. Air chaud maintenant. Courir, marcher en projetant du sable sec, tomber à genoux près de ses affaires, jeux de plage. Les pélicans alignés me regardent, la tête un peu penchée, puis se regardent, étonnés. Personne d’autre sur la plage que ces six bestioles grosses comme des dindons, malhabiles, plutôt ridicules. Une vie de pélican… lassé d’un long voyage… Le mien n’est pas terminé. Reprendre la route, reprendre la mer. Ne plus boire. On dit ça. Serments d’ivrogne. Encore des escales, eds bars, des filles, vertige.
En attendant, j’aurais bien envie d’un liquide chaud et désaltérant pour nettoyer d’un coup toute la tuyauterie. Un thé par exemple. La putain de Cork, belle Irlandaise laiteuse, tout en plis roses, sentant bon la lavande. M’avait proposé une tasse de thé. Une tasse de thé ! Après ablutions vénériennes, lave-boyaux. Glou glou glou ! Pourquoi pas en effet une tasse de thé ? Come and have a nice cup of tea ! Toujours nice. La tradition britannique jusqu’au fond des bouges et des lupanars. Et, ma foi, il était délicieux son thé. Elle, assise en jupon sur le bord du lit, ses jolis seins roses aux tétons pâles dans la douceur du soir, et moi, en chemise, cul nu, assis à côté d’elle, amusé, enfin apaisé. Dehors, le vent sifflait, c’était juste avant la grande tempête. On aspirait la surface du liquide brûlant en faisant pfuit ! pfuit ! comme un couple de paisibles retraités !
Commentaire de Sweet Mary
[NdUU: Commentaire de douce Marie à venir un jour ??? En tout cas, c’est clairement son ouvrage préféré lu en 2006… Elle l’a savouré longuement et avec plaisir, semble-t-il. Elle vous demande de l’excuser toutefois de cette surchauffe professionnelle…]
Meilleurs mots lus #26
UU – Extrait de « C’est égal », d’Agota Kristof
Son fils est parti de la maison très tôt, à dix-huit ans. Quelques mois après la mort du père.
Elle continuait de vivre dans l’appartement de deux pièces, elle était en très bons termes avec ses voisins. Elle faisait des ménages, racommodages, repassages.
Un jour, son fils frappa à la porte. Il n’était pas seul. Il était avec une jeune fille, assez jolie.
Elle leur avait ouvert les bras.
Il y avait quatre ans qu’elle n’avait pas revu son fils.
Après le repas du soir, son fils a dit :
– Maman, si tu veux bien, on restera ici tous les deux.
Son coeur a bondi de joie. Elle leur a préparé la chambre la plus grande, la plus belle. Mais ils sont sortis vers 10 heures.
« Ils sont sûrement allés au cinéma », se dit-elle, et elle s’endormit, heureuse dans la petite chambre derrière la cuisine.
Elle n’était plus seule. Son fils vivait de nouveau auprès d’elle.
Le matin, elle partait tôt pour faire les ménages et les menus travaux qu’elle ne souhaitait pas abandonner à cause de la nouvelle tournure de sa situation.
A midi, elle leur faisait de bons repas. Son fils apportait toujours quelque chose. Des fleurs, un dessert, du vin, et parfois du champagne.
Le va-et-vient des inconnus qu’elle croisait de temps en temps dans le corridor ne la dérangeait pas.
– Entrez, entrez, disait-elle, les jeunes sont dans la chambre.
Parfois, quand son fils était absent, et qu’elles prenaient leur repas entre femmes, ses yeux rencontraient les yeux tristes et battus de la fille qui habitait chez elle. Alors, elle baissait les siens, et marmonnait, en tripotant une boule de mie de pain :
– C’est un bon garçon. Un gentil garçon.
La fille pliait sa serviette – elle avait de l’éducation – et sortait de la cuisine.
Commentaire de UU
La qualité de ce recueil de nouvelles d’Agota Kristof [la nouvelle ci-dessus est reproduite intégralement] se trouve dans sa faculté à retranscrire en peu de lignes une ambiance, une profondeur psychologique et tout d’un coup, sans prévenir, la violence morale. Quelques unes de ces nouvelles sont plus optimistes, mais si peu…
Toute l’humanité et la détresse qui émanent de ce texte se retrouvent évoquées dans la description de ce geste anodin : cette mie de pain réduite en boule face à la terrible vérité qui s’étale, vulgairement, jour après jour, dans ce petit deux-pièces.
Depuis qu’un libraire du Divan [mythique librairie du 15ème arrdt à Paris] nous a livré quelques perles littéraires d’Europe de l’Est [comme les Braises , de Sandor Marai], je me suis attaché à lire d’autres ouvrages en provenance de ce coin du monde. Et on y lit, roman après roman, une aptitude à décrire la tristesse, le désoeuvrement, le drame humain tout simplement. C’est terrible et plutôt triste, il est vrai. Mais tellement humain.